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vulnérabilité des enfants migrants - M.A. GRIMAT

Vulnérabilité des enfants migrants

Marie-Annick GRIMA, psychologue au CMPP Henri Wallon de St Denis (thérapie transculturelle)

 

  • Qu’est-ce que la migration ?

C’est un déracinement familial. Une histoire existait avant d’arriver dans un autre pays. Les migrants restent entre eux d’où une situation de ghetto.

 

  • Le déracinement

Expérience de perte par rapport à la terre natale, au lieu de l’origine, à l’appartenance à une communauté.

Cela renvoie aux notions de vie et de mort.

Etre d’un lieu donne le sentiment d’être autochtone, le lieu de l’enracinement des générations les unes après les autres.

Quand on perd la terre natale, on devient un immigré (« celui qui vient du dehors » chez les Grecs)

De manière traditionnelle à la naissance d’un enfant : enterrement du placenta et plantation d’un arbre (l’arbre est le double analogique de l’enfant).

Quand un enfant a un trouble du comportement, on dit que son placenta a été mangé par un chien.

Une expérience de perte signifie un deuil. Le travail de deuil amène à un réaménagement de la relation avec l’objet perdu, qui passe par le souvenir non douloureux. IL faut au moins 2 ans.

Le temps du deuil est scandé par des choses à faire renvoyant à des actes, au rituel. Le rituel n’est pas exclusivement religieux, il  peut être profane.

Il faut réaménager la relation avec la terre natale pour arriver à un souvenir non douloureux. Il y a un processus d’idéalisation de la terre natale.

Le processus de deuil est entravé : la terre natale manque mais un retour est possible. On est dans une perte mais l’objet perdu est toujours là. Ce phénomène de perte paradoxale va entraver le processus de deuil et entraîner de la nostalgie.

La nostalgie renvoie à la douleur du temps qui passe. On ne se détache pas de l’objet perdu, on  ne s’en sépare pas, il est présent au quotidien dans les pensées (mêmes costumes, même cuisine, appels téléphoniques quotidiens…)

On ne peut se séparer de l’objet perdu. D’où un blocage du travail de deuil.

 

Départ du pays natal et arrivée sur la terre d’accueil : arrivée physique mais psychiquement on est encore là-bas. On est donc au milieu (cela renvoie à l’entre-deux, le vide). Il ne faut pas rester trop longtemps dans l’entre-deux c’est un processus mortifère (on est mort psychiquement). Cela se voit pour les femmes qui ne parlent pas la langue du pays d’accueil au bout de 30 ans.

Expérience de non sens (non compréhension de ce qui se passe), de ne plus partager le code commun (pas la langue), de perte de l’efficacité de son code.

Quand on fait des expériences de non sens, on se sent seul, perdu, malheureux, impuissant, cela peut amener à de la confusion.

Les expériences de la vie quotidienne génèrent du non sens. Quand cette situation perdure, cela entraîne des angoisses confusionnelles et amène à rester dans l’entre-deux qui est vécu comme protecteur. Si cela dure trop longtemps (ex : on ne parle pas la langue du dehors au bout de 30 ans), on est mort psychiquement.

Les migrants font l’expérience que leur langue, leur système de pensée,  leur logique, leur rationalité ne leur servent plus. Leurs systèmes de causalité sont différents de ceux du groupe qui les accueille.

La culture est un concept anthropologique, une grille de lecture du monde, une enveloppe de sens. A Mayotte quand quelqu’un va mal, on pense qu’il est victime d’un sort.

Quand on quitte son pays, on part avec ses croyances sur le monde (c’est l’enveloppe culturelle).

Le processus d’enculturation passe par la façon dont on s’occupe du bébé.

La culture va être transmise et intériorisée. Cette culture interne se nourrit de la culture du dehors.

Le migrant amène sa culture, ses « clés » qui ne fonctionnent plus, d’où une perte qui amène des expériences de non sens et un traumatisme de non sens.

C’est un choc entre dedans et dehors.

Des événements auront un impact plus fort et la membrane (enveloppe psychique) va se déchirer. L’énergie psychique (la libido) s’écoule, cela entraîne un état de choc qui se traduit par un état de sidération ou d’hyperexcitation.

C’est un trauma : une blessure par effraction.

Le traumatisme cumulatif de non sens nous renvoie à l’effraction des enveloppes par récurrence.

C’est donc un traumatisme de non sens découlant de la rencontre de deux univers culturels. Il en résulte la perte du cadre culturel externe.

 

  • Comment se traduit l’impact traumatique sur le plan psychique ?

Processus d’enculturation : prendre les codes de son groupe.

La situation de rupture culturelle peut entraîner une déculturation.  La rencontre avec une autre culture amène un processus d’acculturation soit positive (on se nourrit de la nouvelle culture pour se transformer) soit négative (qui amène à une perte).

 

L’impact du traumatisme se décline selon 2 modalités :

  • pouvoir de transformation, potentiellement créateur. C’est sur un trauma que s’appuient les rituels d’initiation.

La vulnérabilité se définit par la moindre capacité à faire face aux agressions du monde extérieur.

 

 

Marie-Rose Moreau  a prouvé que les enfants de migrants étaient vulnérables. Elle a travaillé avec Serge Lebovici et Tobie Nathan (ethnopsychiâtre)

Elle a  suivi un groupe d’enfants autochtones et un groupe d’enfants issus de l’immigration de 0 à 12 ans. Elle a mis en évidence différents moments de vulnérabilité :

  • En période péri natale : plus de mortalité in utéro, d’accouchements prématurés et de bébés déprimés chez les enfants de migrants que dans le groupe de non migrants.
  • A l’entrée à l’école : plus de difficultés pour les enfants de migrants car ceux-ci rencontrent le monde de dehors de façon brutale. Les enfants ne maîtrisent pas les codes de l’école (la langue, les habitudes…), il en résulte de grandes difficultés d’apprentissage. Mais ce n’est pas un signe de déficience. Or, l’école gère souvent ces difficultés comme de la déficience (orientation en classes spécialisées).

 

Suite à la loi sur le regroupement familial sous Valéry Giscard d’Estaing (1975), les dispositifs CLIN (classe d’initiation) ont été créés. Ils fonctionnent bien au début puis ils manquent de moyens avec l’arrivée massive d’enfants.

Aujourd’hui, les élèves d’origine migrante fréquentent plus que la normale les classes spécialisées. La sur- représentation de ces enfants montre les défauts du système éducatif.
Les tests de QI ne sont pas adaptés à ces enfants.

Des difficultés importantes au niveau de la structuration spatio-temporelle entraînent des difficultés pour apprendre à lire, écrire et compter.

 

Les adolescents migrants se mettent plus en danger que les non migrants.

 

La migration rend vulnérable mais le traumatisme est potentiellement créateur. On ne sait pas rendre visible cette richesse-là en mettant les enfants en CLIS. Les enseignants peuvent être des tuteurs de résilience pour accompagner ces enfants.

 

Deux enfants sont particulièrement exposés : le dernier né au pays (qui porte la rupture) et le premier né après la migration (celui qui porte la migration).

 

Symptôme majeur des enfants de migrants : ils ne parlent pas dehors (en dehors de la maison). Il y a un clivage entre la maison et l’extérieur (mécanisme de défense archaïque).

La mère transmet à son enfant une langue amputée qu’elle ne maîtrise pas. La langue maternelle transmise par la mère est la langue du cœur, de l’affection, des sentiments, elle structure la pensée.

Ferenzi  « le silence est du côté du trauma » : événement traumatique vécu par du non dit. Double inscription : inscrire dans une histoire traumatique existant avant la migration,  chercher le trauma pré existant à la migration.

 

Vulnérabilité des enfants migrants – 2 ème partie

 

I Rappels : impacts  de la migration

 

-       Perte ou rupture dans les domaines de la culture, de la langue et de l’appartenance à une terre, qui amène un travail de deuil

-       Etre entre deux mondes (terre d’accueil et terre natale), ce qui amène à faire l’expérience du vide

-       Expériences de non sens qui vont générer de la confusion (impact traumatique avec symptômes divers dont le mutisme extra familial fréquent chez les enfants)

 

 

Nota Bene : quand bien même les enfants donnent une impression de facilité d’adaptation, attention au problème d’inversion générationnelle, c’est à dire que l’enfant ne doit pas parler à la place de ses parents, ne doit pas être le traducteur de leur parole au risque que cela génère un sentiment de toute puissance qui entraverait le besoin d’apprendre à l’école.

 

II -Système de pensée en lien avec l’héritage

 

 

 La culture ( ce que je crois et ce que je connais de là d’où je viens) va servir de grille de lecture du monde.

Le système de pensée, qu’il soit traditionnel ou moderne, qu’il soit du domaine des croyances, de la religion, de l’irrationnel est un système logique, qui produit du sens et donc un système rationnel.

 

*Cf note 1

 

III – Repères historiques et sociétaux

 

L’histoire des Comores est bâtie sur des rencontres d’origines diverses tant au niveau ethnique qu’au niveau religieux. : les Bantous, animistes, ont traversé la mer vers les Comores vers le 10ème siècle et les shiraziens, musulmans, sont arrivés vers le 15ème siècle.

 

Il y a donc double héritage de civilisation : syncrétisme au niveau de la parenté, au niveau politique, par rapport à la place de la religion.

 

  • cf n° 2

 

Quelques précisions afin de mieux comprendre les relations familiales, car les enfants se repèrent en fonction des règles de parenté qui sont les leurs :

-       système d’alliance basé sur la polygamie

-       l’enfant appartient au lignage de la mère, le responsable de l’éducation est le frère de la mère (Zama)

-       on parle de classe d’âge dans la parenté, le cousin n’existe pas ; ils sont frères, toutes les sœurs de la mère sont des mamas potentielles

-       maman = mama ; papa = baba ; grand-père = bakoko ; grand-mère = koko

 

 

 

Quelques références pour compléter :

 

 

Note 1

'Re-panser'la vulnérabilité psychique observée chez certains ...

tel.archives-ouvertes.fr/tel-00271288/Partager

de MA Grima - 2006 - Autres articles

8 avr. 2008 – Marie-Annick Grima 1 ... oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00271288. Contributeur : Marie-Annick Grima <>. Soumis le : Mardi 8 Avril 2008, 17:14:

 

Note 2

Histoire de Mayotte - Wikipédia

fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_MayottePartager

L'islam tolérant et structuré qu'elle a préservé indique un vieil héritage shirazien, apporté par des colons de la région d'Ormuz et du Hadramaout.

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22/09/2013